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Luc Duquesnel : Recruter un assistant médical

Aujourd’hui, nous avons eu l’occasion d’interviewer le docteur Luc Duquesnel, médecin de famille à Mayenne. L’objet de cet entretien : nous partager son retour d’expérience, quelques mois après l’accompagnement de May’Santé LAB, qui lui aura permis de recruter, avec un de ses confrères le Dr Tiphaine Heurtault, Fanny Garnier comme assistante médicale.

Bonjour Docteur Duquesnel, tout d’abord comment Fanny Garnier vous assiste dans vos consultations médicales ?

Bonjour, à vrai dire tout au long de la journée de consultations. Déjà c’est l’accueil des patients, puisque nous travaillons sur deux cabinets médicaux. C’est elle qui va chercher les patients dans la salle d’attente, qui les accueille, qui ouvre leur dossier médical et qui recueille l’objet de la consultation. C’est pour tout le monde ainsi.

Et quand c’est pour quelqu’un qui est atteint de pathologie chronique, elle se charge de voir s’il y a un courrier qui est tombé récemment, d’un spécialiste, de l’hôpital ou une sortie d’hospitalisation, s’il y a des résultats d’analyses de biologie… Dans ces cas-là, elle relève s’il y a des anomalies autour de cette biologie et elle m’alerte, prend note si par exemple il y a eu des changements dans le traitement.  

Ensuite (et souvent) c’est le moment où j’arrive une fois que j’ai terminé avec le patient précédent. Elle se charge de prendre toute sa biométrie comme son poids, sa taille, sa tension et son pouls. Des données qui parfois, lors des consultations précédentes, ne figuraient pas dans le dossier médical du patient. Moi pendant ce temps-là, je vois ce qu’elle a noté dans le dossier sur l’objet de la consultation. Et quand il s’agit de pathologie aiguë, comme le mal de gorge d’un enfant, Fanny Garnier se charge de lui faire un streptotest. 

Une fois toutes ces tâches accomplies, je vois le patient pour faire mon examen clinique. Évidemment, ça dépend des consultations auxquelles nous sommes confrontés. S’il y a un arrêt de travail à faire ou une ordonnance, elle peut prérédiger le document puis va éventuellement quitter la consultation pour prendre un nouveau patient dans le deuxième cabinet de consultation. Parfois, elle reste une vingtaine de minutes avec le patient pour échanger, nous avons eu le cas hier avec une femme dans un état anxio-dépressif ayant besoin d’une écoute bienveillante. Ce qui explique le retour des patients ! Comme c’est moi qui termine les consultations individuelles, généralement seul avec eux, ils me disent que “c’est super” et même « la prochaine fois je veux que Madame Garnier soit là”. 

Fanny Garnier s’occupe donc de tous vos patients, peu importe leurs problématiques médicales ?

Tout à fait ! Y compris les nourrissons, hier on avait un nourrisson de 4 mois. Elle s’est occupée de le peser, de le déshabiller et de le mesurer avant que je me charge de l’ausculter. Elle fait aussi systématiquement de la prévention auprès des enfants comme des adultes. Surtout pour le cas des nourrissons, elle s’assure auprès de leurs parents que les vaccins soient bien à jour. En général, elle ne fait pas les vaccins chez les adultes parce que quand il y a un vaccin à faire (et sachant qu’on ne peut plus stocker les vaccins aujourd’hui), il est réalisé par une infirmière libérale. Donc en dehors des nourrissons, je réalise très peu de vaccins au cabinet. 

À part les tâches liées à la consultation, pouvez-vous préciser les tâches administratives confiées ?

Les tâches administratives sont multiples, et ça dépend bien sûr de chaque situation. Mais si je prends une nouvelle tâche qu’elle va avoir, c’est de mettre les volets médicaux de synthèse dans le Dossier Médical du Patient (DMP). C’est quelque chose qu’on doit réaliser et moi je n’ai pas le temps de le faire, ça se rajoute comme travail administratif. Mais c’est aussi de faire une déclaration médecin traitant comme on est sur un territoire où il y a pas mal de cessations d’activité. C’est éventuellement faire un arrêt de travail en lui disant jusqu’à quand on le fait, pendant que je suis en train d’examiner le patient. Elle s’occupe également de la gestion des stocks, aussi bien les documents papiers que tout le reste. C’est-à-dire que ça me permet (même si auparavant c’était aussi ma secrétaire) de gagner encore plus de temps comme elle est en direct avec moi et ma patientèle.  C’est aussi se mettre en relation avec nos coordinatrices parcours quand il y a un problème, faire le lien avec l’hôpital ou avec le médico-social… Toutes ces actions, j’avais tendance à ne pas les faire auparavant faute de temps, ça allongeait ma durée de consultation.

Je dirais que ça améliore aussi les parcours de santé des patients et même très clairement puisqu’on fait le lien. Aujourd’hui on a encore plus de patients, du fait de l’âge et des polypathologies où le maintien à domicile est difficile. J’ai aussi plus de 300 patients qui sont suivis par notre infirmière en pratique avancée. Parfois c’est la courroie de transmission de l’infirmière en pratique avancée sur des demandes de renseignements.

Depuis l’arrivée de Fanny Garnier, faîtes-vous face à de nouvelles problématiques dans votre quotidien ?

Les seuls problèmes que nous pouvons rencontrer c’est dû au fait de travailler sur deux cabinets médicaux avec une seule carte CPS (Carte Professionnelle de Santé) qui m’est attribuée. De fait, elle se trouve dans un lecteur dans un des cabinets et pas l’autre. Elle a aussi une carte professionnelle mais elle ne permet pas d’avoir autant d’accès qu’avec la mienne. C’est aussi (de mon fait) de n’avoir qu’un seul terminal de paiement qui l’amène à revenir dans l’autre cabinet pour tous les paiements par carte bancaire.  

Est-ce que vous allez lui en confier d’autres actes techniques à réaliser ?

On a un local qui va être dédié aux actes techniques, c’est-à-dire spirométrie, ECG, holter tensionnel ou encore dermatoscope. En fait, tout ce qui doit nous permettre d’améliorer le suivi des patients, mais aussi de faire de la prévention. Probablement aussi soulager des spécialistes, ceux qui sont amenés entre autres, je pense aux cardiologues, à proposer aujourd’hui des délais de rendez-vous à 18 mois. Et se dire que finalement, s’il y a des actes qu’on fait dans une maison de santé comme la nôtre, ça nous permettra peut-être de raccourcir les délais de rendez-vous pour certaines spécialités médicales. Aujourd’hui, on a des textes réglementaires qui sont un frein, car l’assistant médical n’est pas autorisé à réaliser des actes techniques. Beaucoup de médecins s’en affranchissent, en même temps, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas réaliser ces examens, c’est juste de la technique. Je vois sur la ville de Mayenne, ça fait 30 ans que les cardiologues ont leur secrétaire qui se charge de poser un holter ou de faire des examens… Et c’est la même chose dans les établissements de santé !  Après il y a l’interprétation des résultats et les suites : soit l’envoi vers un spécialiste, soit les suites thérapeutiques à des examens complémentaires, ça relève du médical bien entendu. Je prends toujours le cas des bronchites chroniques obstructives (BPCO). Aujourd’hui on sait qu’en France la moitié des BPCO ne sont pas diagnostiquées. Finalement on les voit à un stade tardif avec des complications. Aujourd’hui, tous les fumeurs et anciens fumeurs pourraient bénéficier d’une spirométrie, c’est simple à faire et ça nous amènerait à faire de la prévention. L’autre intérêt aussi, au-delà des examens techniques, c’est d’orienter les patients vers de l’éducation thérapeutique : c’est un vrai plus pour rendre le patient acteur de sa santé. On a une équipe d’éducation thérapeutique qui s’étoffe à Mayenne et qui fonctionne très bien.  

Fort de tout cela, est-ce que vous êtes capable de mesurer l’évolution de vos consultations ?

Moi c’est simple parce qu’habituellement j’ai quatre rendez-vous à l’heure. Je prenais chaque fin de demi-journée (c’est à dire à midi et le soir) trois quarts d’heure de retard dans mes rendez-vous. Et aujourd’hui depuis l’arrivée de Fanny Garnier comme assistante médicale, je n’ai plus de retard dans mes rendez-vous. Je considère que sur une journée entière, travailler avec Fanny Garnier me fait gagner au minimum 1h30. Mais je dirais qu’en plus de ça, ça améliore la prise en charge. Ça pourrait être aussi un gain de temps avec une diminution de la qualité de prise en charge, mais non. C’est tout particulièrement vrai pour les patients qui ont des problèmes anxio-dépressifs, c’est ce temps d’écoute que Fanny Garnier va avoir quand moi je n’ai pas forcément le temps. 

Êtes-vous en mesure de quantifier le nombre de patients “en médecin traitant” et de patients “en file active” ?

Alors en file active, je ne surveille pas. Pour les patients en “médecin traitant”, je vois puisque tous les jours on fait une à deux déclarations vu les problèmes de démographie et de cessations d’activités sur le territoire. Et c’est le minimum, ça peut être plus qu’une ou deux déclarations “médecin traitant”. Tout l’intérêt aussi de Fanny Garnier quand c’est un nouveau patient (parce que ce sont souvent des consultations très longues) c’est de retrouver le traitement, de noter les antécédents… Ce sont des tâches qu’elle peut faire ! C’est aussi l’avantage d’avoir une assistante médicale qui est une infirmière de formation. C’est aussi pour ça que je voulais travailler avec une infirmière, je voulais avoir la plus-value.  

Il ne s’agissait pas uniquement de se débarasser des tâches administratives, c’était aussi avoir un professionnel de santé qui puisse réaliser tout cela. Et Fanny Garnier est tout à fait apte par rapport aux antécédents, à saisir la dernière ordonnance fait par l’ancien médecin et tout ce qui va me faciliter une nouvelle prescription. Ça permet de prendre en charge de nouveaux patients sur des consultations longues, je suis moins réticent qu’auparavant. À savoir que son temps de consultation en amont ne doit pas rentrer dans un temps imparti : c’est totalement différent d’un patient à un autre selon la ou les pathologies. On passe des consultations médicales, il n’y a pas un modèle unique. La prise en charge, notre travail en binôme est adapté au patient et à la situation. 

Fanny Garnier est à vos côtés depuis plusieurs mois, comment qualifiez-vous votre pratique professionnelle aujourd’hui ?

La situation est très difficile sur notre territoire, on a eu trois cessations d’activité l’année dernière. Deux nouvelles depuis le début de l’année, on en aura deux autres d’ici la fin de l’année… Et j’en ai appris une troisième sur le territoire hier. Ce qui veut donc dire un phénomène de tension que vivent bien sûr nos secrétaires, un stress de la population et puis aussi, quand on est médecin de famille sur le territoire depuis 35 ans, c’est difficile de concevoir son métier en se disant qu’on va laisser pleins de patients atteints de pathologies chroniques ou diabétiques sans médecin traitant… C’est un peu inconcevable. 

Je dirais de la même façon, qu’on accepte de prendre des patients atteints de pathologies chroniques et qui pleurent de remerciements… Je me dis dans quel monde sommes-nous ? L’image que j’emploie aujourd’hui c’est que notre sac à dos est très lourd en tant que médecin de famille et que globalement porter un sac à dos très lourd à deux, il est moitié moins lourd. 

Quels sont aspects positifs de ce recrutement dans votre quotidien de médecin de famille ?

Le fait de travailler avec quelqu’un, d’avoir la satisfaction de prendre en charge plus de patients qui n’avaient pas de médecin traitant, d’avoir aussi les remerciements, plus de reconnaissance qu’auparavant quand on leur disait non. 

Le fait d’avoir moins de contraintes, entre autres administratives, dans le cadre de l’exercice quotidien… Et puis les échanges, travailler à deux ! Sinon on est tout seul toute la journée dans son cabinet même si on croise ses associés, chacun est dans son cabinet. Là c’est très clairement un exercice à deux, ça change la vie très clairement. 

Qui fait qu’arrivant à un âge où je pourrais prendre ma retraite (même si ma retraite ne me dit vraiment pas grand-chose) finalement j’ai des conditions d’exercice, les pires depuis 35 ans, qui se sont très nettement améliorées depuis l’arrivée de Fanny. Donc, même si je pouvais partir à la retraite, je ne compte pas partir le mois prochain avec l’arrivée de Fanny. J’envisage tout à fait de continuer mon exercice dans ces conditions-là. Mais d’un autre côté, ça veut dire que je n’envisage plus du tout exercer comme avant. 

Comment l’association May’Santé LAB vous a aidé dans le recrutement de Fanny Garnier ?

Décider de travailler à deux, c’est-à-dire avec un assistant médical, ça posait plein de questions. Premièrement transformer le cabinet médical en deux cabinets médicaux, c’était de voir sous quel modèle économique. On ne travaille pas avec un assistant médical pour gagner plus d’argent mais non plus pour en gagner moins. Que ce soit la question immobilière ou le modèle financier, très clairement on n’avait pas les moyens de le faire.  May’Santé LAB ça a été essentiel pour nous amener, Tiphaine Heurtault et moi, à décider de travailler de cette façon-là avec une assistante médicale de niveau infirmière, vers la consultation à deux. Je dirais que probablement sans May’Santé LAB, vu tout le travail que ça nécessite (étant très pris par mon activité de médecin traitant mais aussi par d’autres activités) je n’aurais pas eu la capacité de faire tout cela. 

Pour finir, y-a-t-il des points qui vous paraissent importants de communiquer ou sur lesquels appuyer ?

Autant je comprends les réticences que chacun peut avoir à modifier son organisation professionnelle, le changement fait toujours peur. Même si on n’est pas satisfait de ce qu’on vit aujourd’hui, on se dit qu’en changeant ça pourrait être pire demain. Très clairement, l’assistant médical, non seulement ça améliore l’accès aux soins (c’est un vrai sujet sur notre territoire et notre département) mais surtout ça améliore les conditions d’exercice des médecins généralistes. 

Et ça me semble tout particulièrement important aujourd’hui pour les médecins de famille parce qu’ils ont des conditions d’exercice qui se détériorent, et globalement améliorer les conditions d’exercice au quotidien c’est un vrai plus. C’est aussi l’aide et la prise de conscience des institutions et des partenaires : l’aide du Conseil Départemental, de la SISA (Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires) …, c’est aussi l’aide de l’URML (l’Union Régionale des Médecins Libéraux) avec la création du Groupement d’Employeurs, parce que ça fait partie des craintes de certains médecins qui se disent “je vais avoir à gérer une ressource humaine supplémentaire”. 

C’est nous décharger de choses soit qu’on n’a pas envie de faire, soit qu’on ne sait pas faire ou les deux ! Et puis nos modes d’exercices n’ont pas changé depuis 35, 40, 50 ans… Surtout quand je vois que le médecin allemand travaille avec deux à trois personnes autour de lui, une secrétaire, une infirmière et souvent un autre professionnel. Ce qui permet à ce médecin allemand, en travaillant moins que nous, de prendre 2500 à 3000 patients en “médecin traitant” alors que la moyenne pour un médecin généraliste libéral en France c’est 2070.  

Un grand merci au Docteur Duquesnel pour cet échange !

Interview & Retranscription : Laureen Lesturgez Chargée de Communication May’Santé LAB